Novembre 2016 - Eric et son copain



C’est dans les rues de la petite ville que j’aime tant. Celle où j’ai passé la plus grande partie de ma jeunesse. 
 

A l'époque, les choses paraissaient simples Tout le monde avait du travail. Il y avait des usines, des administrations, un hôpital et des commerces. On fabriquait des meubles, des télévisions, des vêtements et même des vélos… Les ouvriers et les enseignants étaient communistes. La bourgeoisie allait à la messe et envoyait ses enfants faire leurs études à Dijon ou Paris. La bataille pour la Mairie était rude.


Aujourd’hui, toutes les usines sont fermées. Le chômage y est dur. Les maisons du centre ne sont plus entretenues. Certaines s’éboulent. Les murs humides sont moisis. Il n’y a pratiquement plus de commerces au centre ville. Les vitrines vides ne cicatrisent pas.


L’ennui.



Devant les grilles du lycée où j’ai préparé mon bac, deux hommes boivent des bières, dans la lumière froide et grise de ce soir d’automne. Nous échangeons quelques mots, des sourires. Je fais leur portrait. 


Quelques semaines plus tard, je mets les photographies dans une enveloppe de papier kraft. Je ne sais pas s’ils l'ont reçue…

 


 

 



 

 

18/09/13 Sur la route de Noureddine (entre Bastille et Gare de Lyon)

 

 

Je croise un homme, avec cigare et grosse valise. Il semble un peu paumé. Il repère le Semflex que je tiebns dans le creux des mains. C’est l’appareil qu’utilisait son père, «photographe professionnel», pour faire les portraits.





Il vient de pleuvoir. Les couleurs de la nuit qui s’approche sont très belles. Une palette sombre, avec le gris foncé du trottoir, la chemise mauve, la veste de velours côtelé marron et la vitrine couverte de cartons beige en arrière plan. Je lui dit que j’aimerais beaucoup faire un portrait de lui dans la rue. Je monte sur un banc pour placer l’appareil au même niveau que le visage car avec la visée du 6X6, la contreplongée n’est jamais bien loin. Comme je lui demande, il met son cigare dans la bouche. Il pose, avec un regard mi-amusé, mi-mélancolique. J’espère que la photo, faite sans cellule et à vitesse lente sera bonne...

 

Je lui demande son adresse pour lui envoyer un tirage. Dans l’adresse figure «PSA». A mon interrogation, il répond simplement: «C’est là ou je récupère mon courrier».

De retour à Dijon, je trouve la signification. Les PSA sont des «services publics d’accueil, d’évaluation, d’orientation et de suivi social pour toutes les personnes sans domicile».

 

Le lendemain, je glisse la photo dans une enveloppe...  

 

 

 

 

 

 

17/03/13 Le Leica III de mon grand-père

 

En 1936, mon grand père Robert Archer, professeur à la Faculté de Médecine de Lille, achète un Leica avec son objectif standard, un Elmar 5cm f/3,5. Passionné de photographie et de chimie, il réalise ses tirages selon de nombreux procédés. Il expérimente toutes sortes de virages colorés de son invention...

 

Pendant le dernier été d'insouciance d'avant guerre, en 1938, il réalise cette belle photographie d'ombre et de lumière. Deux femmes se promènent en forêt. Derrière elles, dans la clairière, des campeurs autour d'un feu. Les congés payés datent seulement de deux ans...

 

 

Au début des années 70, il me propose son Leica. J'ai seize ans et cet appareil m'intimide. Je ne l'accepte pas. C'est mon cousin qui l'aura par la suite. Trente ans après la mort de mon grand-père, et ce fut une surprise, mon cousin me confie le Leica. 

 


Cela m'a beaucoup touché car j'ai été très proche de mon grand-père.

 

Inventeur génial, écologiste avant l'heure (il haïssait l'automobile, le tourisme et l'urbanisation), il était excentrique et grognon, drôle et mélancolique, La mort de son père au front en 1915 et son engagement dans le terrible conflit à 17 ans l'avaient transformé en misanthrope desespéré. 

 

J'aime beaucoup cet appareil photo. J'aime l'utiliser. C'est un objet magnifique et exigeant. Un mythe aussi... Je me demande encore comment faisaient Capa ou Cartier Bresson pour tirer des chefs-d'oeuvre dans l'action du moment avec ce viseur en trou de serrure, ce télémètre à peine visible et l'absence de posemètre...

 

 
Avec le Leica IIIa de 1936 - Lyon, mars 2013

 

Je ne l'appelle jamais "mon Leica" mais "le Leica de mon grand-père"

 

09/03/13 Ma photo préférée

 

C'était en juillet 1973. Ce paysan de Perroix (Haute savoie), a pris la pose avec fierté devant l'objectif du grand gamin de la ville que j'étais. Nous avons échangé quelques mots. Il avait connu la boue et la mort des tranchées. Derrière sa tête, dans l'ombre de l'huisserie, on distingue un crucifix. Il y a ses bottes, son balai. Les volailles en liberté picorent à ses pieds.

 

J'avais un Zénit E "Made in USSR", avec un objectif Helios 58mm f/2.

 

Le film, un Dia Direct Agfa délivrait seulement 32 ASA (la dénomination ISO n'existait pas encore). C'était le seul film inversible Noir et Blanc. On le trouvait facilement chez le photographe de ma petite ville de province. Pour le développer, il fallait l'envoyer en Allemagne. On recevait les diapositives près d'un mois plus tard, dans une boite orange...

Je viens de finir de restaurer cette photo. Elle a toujours été ma photo préférée. J'avais tout juste 17 ans.